dimanche, juillet 22, 2007

Shadows have faces (3)

Si je me défile autant c’est que je peur que vous la posiez. LA question pertinente :

« Quels cours d’acting as-tu suivi ? »

Ce qui m’oblige à confesser. Un club de théâtre à la fac de Lille. Dont j’ai séché la moitié des séances. Oui c’est tout. La seule jusqu'à maintenant à avoir percé la vérité à jour c’est Jenny. Mais pour parler de Jenny il faut d’abord parler d’une phrase percutante.

Get the Edge. C’est ce que je murmure en me réveillant dans mon salon. La première chose que je vois en ouvrant les yeux. C’est la boite ouverte de la pizza posée sur la moquette. Je me saisis machinalement de la dernière part. Froide. C’est comme ça que je la préfère. Je déteste par contre l’écoeurante croûte injectée de fromage que je détache d’un mouvement sec, une moue dégoûtée jusqu’au bord des lèvres.

Get the Edge. Cette fois c’est le poste de télévision qui l’a dit. Encore un de ces infomercial à la con. L’image est brouillée, tout juste reconnaissable, merci à l’antenne achetée au Cash Converter. Cette dernière pensée me rappelle où je suis. Dans mon appartement. Troisième étage. Mar Vista. L.A. California. Oui L.A. comme Los Angeles. Dit comme ça à priori ça en jette, en vrai pas grand-chose à voir avec les vues hélicoptères de gratte-ciels illuminés que vous voyez à la télé. J’habite dans un immeuble pourri, d’une partie de banlieue pourrie. Et si Hollywood n’est pas loin, pour l’instant la seule chose que j’en connais c’est les embouteillages.

Pour vous faire une idée de où je vis, on pourrait très bien confondre le lieu avec un repère de camés. Et pour ne rien arranger je suis bordélique. Le lecteur DVD annonce 2.55am (si je me penche un peu car le 2 est partiellement caché par une chaussette). Je me suis endormi pendant une énième coupure pub d’une rediffusion de Terminator 3.

Get the Edge. La phrase martelée une fois encore grossie à l’écran comme si elle essayait d’en sortir.

Change your life in 7 days poursuit l’informercial. 7 jours. Il y’a 6 mois que j’essaye de changer la mienne. Six mois que je suis arrivé aux Etat-Unis. Je me rappelle que je regardais à mon arrivée ces pubs continues d’un regard plein de condescendance. Ce soir, épuisé par l’assemblage de 253 burgers je ne souris plus. Je n’éteins pas le poste pour autant. Je reste là inerte, le regard vide, chaque seconde plus convaincu que ce programme de coaching personnel en 7 CD pour seulement $49,90 par disque est le petit coup de pouce dont j’ai besoin. J’écoute encore une fois un basketteur, une mère de famille, un obèse, un malade du cancer, et un entrepreneur m’expliquer comment dès le premier CD ils ont observé des résultats et je me retrouve en train de composer le 0800 403 404. La douceur de la voix féminine est bien trop suave pour continuer d’ignorer que je viens de me faire arnaquer proprement.

Shadows have faces (2)

En me rencontrant pour la première fois dans une soirée vous n’en apprendriez pas beaucoup plus sur moi. Eventuellement, sentant pointer l’ambiguïté, j’aurais besoin de vous préciser « hétérosexuel » mon goût un peu trop prononcé pour les vêtements aux couleurs de l’arc-en-ciel induisent parfois en erreur.

En quelques mots je me décrirais ainsi : « le physique de Confucius et la sagesse de Brad Pitt». Description censée refléter un mélange de classe, d’intelligence et d’humour. Vous vous en apercevrez vite si ce n’est déjà fait je suis bien moins que tout ça.

Il y’a une dernière chose avec moi, je déteste faire la conversation et j’ai un large stock de répliques pour y couper court. Par contre si vous réussissez à me lancer vous ne pourrez plus m’arrêter et croyez moi, vous ne voulez pas en arrivez là. Exemple ?

« Et sinon Josh à part tes études de langues qu’est ce que tu fais dans la vie ? »

En supposant qu’on soit un jour où je suis d’humeur à relever la banalité de votre question je réponds : « J’aime le cinéma, je vais devenir acteur. »

A ce point de la discussion vous pouvez faire deux erreurs.

Un. Prétendre que vous A-D-O-R-E-Z aussi le cinéma et me demander quels sont mes films préférés. Bravo, vous venez de ruiner votre soirée.

Je suis parti pour vous expliquer pourquoi je ne comprends pas ce que tout le monde trouve à Scarlett Johansson, à quel point Michel Gondry est un génie ou pourquoi je déteste Scarface. Pour un peu que vous m’horripiliez un chouilla je commence à vous décrire en détail les scènes des 7 Samurais en m’exclamant toutes les 10 secondes combien exceptionnel est ce film. Alors que franchement je le trouve chiant comme la mort.

Deux. Vous vous exclamez « Acteur wooh cool ! »

Félicitations vous venez de ruiner votre soirée. Parce que je n’aurais à répondre qu’un « Ouais » molasson pour tuer le conversation. La réponse honnête serait « Ouais c’est cool mais je travaille pour le moment au Burger King, multiplie les auditions sans suites, n’est ni agent ni argent. Ma plus grande réussite est pour l’instant un rôle de figurant dans une publicité pour une boisson gazeuse, tellement révolutionnaire que tout le monde en a déjà oubliée le nom. Evidemment tout ça je ne vous le dit pas et un silence pesant s’installe. Vous vous levez pour aller chercher une autre bière dans la baignoire. On sait très bien tous les deux que vous fuyez tant qu’il encore temps. Et entre nous, vous avez bien raison.

De toute façon je me rappelle très bien que celle que je viens de boire était la dernière.