lundi, mai 14, 2007

Shadows have faces (1)

J’aurais pu commencer ce récit par une phrase percutante. Une de celle qui vous laisse le souffle court, avide de lire la suite. Je l’aurais ressassée pendant des heures, me délectant d’anticipation à l’idée d’ébranler vos petits cerveaux endormis. Mais soyons honnête, en supposant que je sois capable d’une telle production, ça ne serait que remettre à plus tard la découverte de mon style hasardeux et maladroit.

J’ai décidé d’être franc avec vous. Franc, honnête, et direct. C’est je crois ma seule chance de vous préserver de l’ennui.

Josh. Mon prénom pourrait vous donner un indice sur qui de ma mère américaine ou de mon père français tient la culotte dans la famille. Seulement mon père, ce fieffé manipulateur, a laissé ma mère choisir mon prénom uniquement pour pouvoir choisir le prénom de la fille qu’il a toujours voulu avoir. Caroline. Le destin étant aussi retord pour lui que pour les autres, le deuxième enfant fut un Il. Ayant échoué -Dieu soit loué- à nommer mon petit frère Carolin, mon père s’efforce depuis de convaincre ma mère d’avoir un troisième. Ma mère lui répond qu’en porter deux a été assez épuisant comme ça. Que s’il veut une fille il n’a qu’à l’avoir lui-même. Oui. Ma mère a un sens de l’humour particulier. Et moi dans tout ça ? Je supporte ces conneries depuis 25 ans.

Vous vous demandez à quoi je ressemble ? Ma réponse quand je me regarde dans le miroir est « A rien » mais c’est obscurcir la vérité de mon cynisme. Si je n’ai pas un physique à casser des briques, je suis suffisamment ce qu’il faut pour avoir à mon actif une demi douzaine de relations. Une demi douzaine en langage masculin c’est quatre. Ayant durées moins de trois semaines. Si vous attendez de moi que je décrive la couleur de mes yeux, cheveux ou la taille de mon sexe, arrêtez votre lecture ici, on est ni dans la collection « Arlequin » ni sur Meetic.

mercredi, mai 02, 2007

La couleur des jours (12 et fin)

« J’ai eu une journée…difficile… ». Sa voix se casse. Le mot journée tient ici pour « vie ». Et puis tout y passe. Le coach. Le collège. Sa mère. Les soucis financiers. D’abord tout doucement, des blancs, des silences. Et puis ça s’accélère. Elle régurgite de plus en plus vite ces pensées remâchées pendant des semaines, des mois, des années. L’absence de son père. Les disputes de plus en plus fréquentes avec sa mère. Sa prise d’indépendance à 19 ans. Les multiples petits boulots. Sa tentative avortée de reprendre des études.

Si Jeremy avait montré le moindre signe d’ennui, elle se serait stoppée. Immédiatement. Se serait excusée plus que de nécessaire, aurait rangé sa misère affective dans chacune des petites boites. Ca n’aurait été qu’un remballage de plus. Une prise sur soi habituelle.

Mais Jeremy est aussi absorbée qu’elle, il acquiesce, parfois pose une question pour une précision, fait part de remarques étonnantes de bon sens. D’ailleurs en plein milieu de son récit sur comment elle a perdu sa meilleure amie, il la coupe alors qu’elle décrit une micro-dispute supplémentaire. Cette fois à propos de leurs divergences sur la meilleure voie après le bac. La prépa ou la fac. A l’époque elle soutenait que seule la fac pourrait lui apporter la liberté nécessaire. En fait elle a abandonné ses études avant ça.

Jeremy n’est pas perdu malgré tous les détours que prennent ses anecdotes et lui fait remarquer pertinemment qu’à ce moment là, la somme des différences entre elle et sa meilleure amie était probablement déjà devenue trop grande pour que leur relation se dirige ailleurs que dans le mur. Elle reste abasourdie. Elle n’a pas encore atteint le point culminant de son récit : une dispute monumentale dont elle tient son caractère pour responsable qui les a définitivement brouillées.

Et maintenant qu’elle y repense, il n’a pas tord, dans leur dernière année de lycée Emilie est devenue cette pimbêche élitiste, prenant tout le monde de haut, des élèves aux professeurs en passant par ses parents et à la fin même ses amis.

Ca lui fait un choc, elle les a toujours blâmés, elle et son maudit caractère pour leur éloignement. C’est ce qu’elle dit à Jeremy.

« Peut être que des fois ton caractère n’est qu’un catalyseur.»

Elle ressent la phrase comme si on lui enlevait une épée passée en travers de la gorge. Epée qui aurait été là depuis si longtemps qu’elle en a oublié combien elle fait mal.

Marine est livide, et ça doit se voir car Jeremy la prend dans ses bras. Et elle le connaît assez pour savoir à quel point ça lui est anti-naturel. Bientôt leur étreinte devient caresses et embrassades. Le moment n’a rien de torride. Il se situe plutôt dans la douceur et l’apaisement que peuvent se procurer deux âmes qui partagent le même épuisement moral. Ils finissent d’ailleurs par s’endormir, pelotonnés l’un contre l’autre dans le canapé.

Le lendemain quand Marine s’éveille, elle a cette certitude qu’aujourd’hui et un nombre indéterminés de jours suivants seront roses. Rose pale.

Relation naissante. Guérison lente. Dirait un horoscope bien avisé.